Défi n° 6
Des carreaux blancs, vides comme le vertige des lignes à écrire.
Il fait beau, je suis assise sur ma fenêtre, et les carreaux blancs s’inscrivent à la verticale en face de moi, habillés de plantes et de voilages qui ondulent dans le vent, habités de silhouettes, de visages, une petite fille que l’on distingue debout devant la vitre, des gens qui vont et viennent, silencieux, réfléchis. La vitre devant moi réfléchit en miroir l’espace dans mon dos, d’autres espaces, d’autres carreaux verticaux. La montagne se reflète sur deux d’entre eux, les couleurs sont belles en cet après-midi de printemps, du bleu pour le ciel et un beau blanc pour la neige.
Ce sont mes deux fenêtres préférées, le soleil s’y couche le soir en rose et mauve et s’y lève le matin en jaune pâle et gris buvard.
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Eliette
Nicole C.
Les carreaux linéaires sciemment astiqués
Interrompent le pas à le rendre indigne
Godillots aux pieds et habilement masqué
Narguer l’alignement de façon maligne
Enjoliver de courbes à n’en point manquer
Sans moindre consigne saturer les lignes
-
Virginie
Au sol ou sur un mur
si ces carreaux pouvaient parler
sans doute ils nous étonneraient
d'où ils viennent ils nous diraient
et quelles mains adroites
les ont si bien posés
et tout ce qu'ils ont vu
de nous et de nos jours
Mais matière et non vie
réseau de lignes parallèles
comme les barreaux d'une prison
tableau contemporain
de style impersonnel
peuvent-ils seulement
nous entraîner au rêve ?
Marbrures nuageuses
l'esprit s'évade au ciel
pour un voyage imaginaire
bien loin dans tes pensées
retour à la réalité
cette brève respiration
t'aura bien vivifié(e).
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Marie-Claude B
Quand j’ai visité cet appartement, j’ai tout de suite su que nous allions y être heureux. Avec l’arrivée surprise de notre petit Noé, deux ans auparavant, notre F3 était devenu trop petit. Nous nous sommes donc mis en quête d’un F4 ou d’un F5 et nous avons trouvé notre bonheur aux Granges. Une terrasse ouvrant un grand parc, une vue splendide sur le Vercors, une chambre pour nous, une pour les jumeaux, une pour Noé, une dernière qui pourrait à la fois servir de bureau et de chambre d’amis, une cuisine américaine, un vaste salon lumineux. Que demander de plus ? Le prix était accessible – tout juste. Pas question de refaire la salle de bains un peu vieillotte ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Nous avons confié les enfants à mes parents deux week-ends, le temps de rafraîchir les peintures, puis nous sommes installés juste avant la rentrée scolaire.
Au tout début, j’avais un peu l’impression de jouer à la Barbie. Quand j’avais huit ou neuf ans, mes grands-parents nous avaient offert un camping-car Barbie, à ma sœur et moi. Que d’heures avons-nous passées à jouer ensemble avec ce qui nous semblait le comble du luxe, nous qui n’avions que de petites tentes de montagne : un véhicule moderne, équipé des dernières nouveautés et permettant de parcourir le vaste monde ! Eh bien quand je m’affairais à la cuisine, un œil sur le four, l’autre sur Noé dont l’esprit de découverte n’avait aucune limite, je me sentais pleinement comblée et fière de posséder une belle famille dans un magnifique appartement.
Quand Hugo, mon mari, fut muté à son corps défendant dans le Nord-Isère, nous avons décidé malgré tout de rester là. J’avais un travail qui me plaisait – je suis documentaliste dans un lycée à deux pas – nous avions toutes les commodités sous les fenêtres, nous adorions notre cadre de vie. Hugo ferait les déplacements, et je prendrais à ma charge un peu plus de tâches ménagères.
C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à détester notre carrelage blanc. Hugo est assez maniaque, voyez-vous, bien plus que moi en tout cas. Tous les jours avant de se coucher, il passait la serpillère à la cuisine et au salon, alors que j’étais déjà à moitié endormie. Il faut dire que je suis une grosse dormeuse. J’avoue que je me moquais un peu de mon mari : quel besoin avait-on d’une maison impeccable ?
Mais Hugo est ainsi et il est vrai que j’appréciais de commencer la journée avec un carrelage immaculé.
Quand Hugo se mit à perdre presque une heure et demie dans les transports et à rentrer tard pour éviter les bouchons, j’ai commencé à haïr ce carrelage. Comme je regrettais les tommettes hexagonales en terre cuite de mon appartement d’étudiante ! Qui avait choisi ce carrelage ? Un décorateur d’intérieur qui n’avait jamais de sa vie passé une serpillère ? Un fond blanc où chaque trace faisait tache. Des lignes droites et noires à ne plus en finir, se croisant froidement à la perpendiculaire. Sale, très sale, trop sale carrelage !
C’est alors qu’arriva « le grand méssant virus » comme prit l’habitude de le désigner Noé, précédé par « Tatalia ». Tatalia, c’est Natalia, la fille aînée de mon mari, de son premier mariage. Elle a vingt-deux ans, donc Noé la considère plutôt comme une « tata » qu’une grande sœur. Il l’adore. Moi aussi d’ailleurs, on s’entend très bien. Bref, où en étais-je ? Tatalia travaillait comme assistante de français en Espagne et elle était venue pour le mariage de l’une de ses amies. A cause du « grand méssant virus » elle est restée chez nous, dans la chambre d’amis, avec ses yeux rieurs et ses idées qui fusaient. Et heureusement qu’elle était là ! Hugo est passé en télétravail. Ce que le patron lui avait refusé même une journée par semaine est devenu tout d’un coup possible grâce au virus. Oui mais : au lieu de travailler 5 jours sur 7, il s’est retrouvé enchaîné à ses écrans plutôt six jours et demi par semaine, et ce dans notre chambre où il s’est aménagé un bureau. De mon côté, j’ai eu un peu de travail à faire à distance également, heureusement seulement un jour par semaine. Je m’enfermais alors dans la chambre de Tatalia tandis qu’elle était dans le salon avec les enfants. Tatalia est devenue le soleil autour duquel nous gravitions tous. « Avant », Noé allait à la crèche durant la semaine. Les jumeaux n’avaient à le supporter que le week-end et le soir, et lorsqu’il devenait pénible, il n’était pas difficile de descendre dans le parc avec un ballon ou un tricycle. Avec le confinement, l’arrêt de la crèche, la « continuité pédagogique » pour les jumeaux, la situation est devenue plus compliquée à gérer – pour rester correcte.
Toc, toc, toc. « Oui, entre ! ». Tatalia passe la tête à travers la porte :
- Dis-moi, est-ce que ça te gêne si, avec les enfants, on utilise les feutres sur le carrelage ?
- Vous n’avez plus de papier ?
- Si, si mais… c’est une surprise… En tout cas, promis, on passera la serpillère après !
- Pas de problème, vas-y !
Je me ravise :
- Tu as essayé sur un coin de carreau ?
- Oui, bien sûr…
- OK, parfait.
Si vous saviez tout ce que l’on peut faire avec un carrelage blanc carré… Même Noé s’est joint aux jeux de Tatalia. On saute, de deux en deux, de trois en trois. On multiplie, on divise, on fractionne. On fait un jeu de l’oie. On dessine des symétries axiales… Avant d’effacer, on a fait des photos, plusieurs par jour ! On pourra vous montrer !
Pour mon anniversaire, j’avais demandé à ce qu’on change le carrelage. Maintenant, j’hésite. Les enfants y sont attachés et moi-même, je le vois d’un autre œil.
Le mot sur la lign’e,
Est-il sign’e… creux… vrai… ou gris?
Pourquoi écris-tu ?
Lign’es, droit’es, croisées,
chemin sinusoïdal,
rich’es, chich’es, vid’es ou pleins ?
Autos, lign’es air, mer,
Quell’e énergie d’transport ?
et lign’es de ch’min d’fer…
La terr’e nourricièr’e,
son respect n’a pas de prix !
Jardin’e ! Citoyenn’e.
Notre mond’e s’est détruit.
Confinés… pour décanter.
Des pist’es neuv’es SVP !
Sujets confinés,
deux questions : Business ? Santé ?
Guign’e ! Vie ! toi ? quel côté.
je ne pense pas… Je suis Chair,
Corps mué par l’esprit.
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Colette