Défi n° 5
Me connais-tu ?
J'ai bien peur que non
Ça fait des années que tu habites là
Tu ne me regardes pas, c'est con
Pourtant, je suis juste en face de ton balcon
L'été dernier
J'ai bien vu que tu t’inquiétais pour mon voisin
On a eu chaud, très chaud
D'ailleurs le pauvre
Il est à moitié grillé
Ben moi, j'ai résisté
Parce que je viens du sud
Hé oui, Madame
Je suis un Fraxinus ornus
Comme ça t'auras appris un truc aujourd’hui
Un orne ou Frêne à fleurs
T'as vu toutes ces belles fleurs blanches
Que j'ai fabriquées avec mes petites branches
"Une beauté remarquable au printemps"
C'est marqué dans Wikipedia
Permets moi de me la péter un peu
Bon, je ne sais pas ce qui ce passe en ce moment
Je te vois plus souvent sur ton balcon
Tu t'enracines?
J’espère que ça va durer
Parce j'aime quand tu m'admires
Parfois tu as un verre à la main
J'aimerais bien trinquer avec toi
Parce que depuis un mois
Pas une goutte de pluie
Et là
J'ai la gueule de bois.
-
Nicole C.
Me connais-tu, toi ?
Arbrisseau, jeune roi
Ce sentier est à moi
Rejeton dit-on
Petit mélèz’ abandonné
Mon père m’a oublié
Grêle, frêle, hérissé
Le soleil enchant’ mon cœur
La nuit berce mes peurs
Lésé, émigré
Discret, maigr’, affamé
Me guign’la maladie
Mélèz millénair’
Uni aux désespérés,
L’auror’point’audacieus’ !
--
Colette B.
Me connais-tu ? Je n’en suis pas bien sûr. Je te vois dévaler de ta grande tour, chaussé de tes baskets dernier cri, me mettant en échec dans ma petitesse à ne savoir rivaliser avec le grand chêne ou les conifères. Tu cherches à braver les grandes cimes, et loin de moi de vouloir t’en dissuader. Seulement, me connais-tu vraiment ?
Là se pose à toi une grande question sous couvert de petite interrogation. Je suis un souffle de vie vois-tu. Je suis tout nouveau ici. Et je ne suis que trop frêle présence pour le moment, je brille surtout par mon absence, je ne suis qu’un arbuste naissant.
Je ne suis qu’un pion pour toi qui habites dans la tour. Mais sache que je suis un cavalier dans l’âme, bien que je me montre très discret, un tronc hésitant, quelques timides branches. Je suis loin d’être encore productif mais quand ce sera ma saison, je serai bien plus attrayant. Peut-être même te presseras-tu pour cueillir mes fruits savoureux et alors je me sentirai fier et honoré.
Je ne suis qu’un minuscule arbre fruitier, quand je deviendrai grand, je te serai bien plus familier. On m’a miraculeusement planté ici afin que j’apporte ma petite touche de verger. Mais il me semble qu’à vivre tout là-haut dans cette tour, tu ne perçois plus très bien ce qui se trouve à tes pieds.
Puisses-tu bien comprendre que j’ai une conscience si je n’ai pas beaucoup de branches. La sève qui circule en moi n’est que pleine énergie vitale. Et je ne demande qu’à t’offrir bien des instants bucoliques pour l’avenir. Apprends à déceler dans mon arborescence bien des bribes de connaissance. Nous partageons ce monde, toi et tes criantes baskets, et moi, modeste pommier nain et mes précieuses racines n’exprimant comme dessein que de te ravir en t’insufflant la vie.
-
Virginie
Me connais-tu ?
Je suis un arbuste qui pousse le long d’un mur au bord de la place de la Commune.
J’ai quelques frères à côté de moi qui m’aident à me sentir plus fort.
On dit que rien ne me fait peur, ni la pluie, ni le vent, ni les maladies.
Je suis tenace et resplendissant : surtout dans la période qui vient de se passer.
Je t’ai vue t’émerveiller dès le début de ma floraison, lumineuse !
Chaque fois que tu passais, tu me regardais et je t’entendais dire : « ça y est le printemps arrive ! »
Sais-tu que j’ai crains que tu ne me regardes plus quand le confinement est arrivé ?
J’ai eu peur que mon éclat s’éteigne sans que personne n’ait vu ma floraison...
Je guettais ton passage : tu ne passais plus le matin, plus le midi…
Et quel plaisir quand je t’ai vue passer une fois l’après-midi puis une autre fois !
Et chaque fois, tu avais un regard vers moi.
Tu as ainsi pu voir comme le jaune étincelant de ma floraison égaye le paysage !
--
Christine
Me connais-tu ?
Moi je te connais petit humain, coquin
Qui joue à cache cache autour moi.
En jouant, sans le savoir, tu me fais des câlins
Et j'aime bien ça.
Je te connais aussi future maman au ventre rond
Qui cherche mon ombre pour te rafraichir et te reposer.
Viens, appuie-toi contre mon tronc
Je vais te servir de dossier.
Et toi l'amoureux qui espère, qui attend,
Elle arrive, ne sois pas impatient !
Et quand elle sera là , je le sais déjà,
J'aurai une nouvelle cicatrice en forme de cœur.
Ne t'inquiète pas, l'amoureux, cette blessure là n'est pas douloureuse.
Je vous connais tous, vous qui vous promenez dans ce parc.
Certains sans me regarder,
D'autres ne cessant de m'admirer.
Je vous vois de toute ma hauteur,
Et j'essaie de ne pas regarder les fumées, les déchets,
Les mégots et les canettes que vous laissez à mes pieds.
Moi, je suis fier de vous aider à respirer,
D'agrémenter et d'enjoliver votre cadre de vie,
De servir de perchoir aux moineaux, corbeaux ou pies
D'être là avec vous et pour vous...
Mais parfois le soir, quand vous êtes tous dans vos foyers,
Je me sens un peu seul.
Alors je rêve que moi aussi,
Je rentre chez moi, dans ma forêt.
-
Mirabelle
Tortueux mais gracieux
Me connais-tu ?
Tortueux mais pas torturé
Il s’avance d’un pas lent mais sûr
Comme la tortue
Sur les chemins de traverse
Il tente vainement de tendre
Ses longs bras maigres vers le ciel
Mais le ciel n’en veut pas
Tortueux tu es, tortueux tu resteras
Recroquevillé sur lui-même il est songeur
Sous les doux rayons d’un soleil printanier
Lui à l’automne de sa vie
Qui a dit qu’il ne passerait pas l’hiver ?
Maladroitement il tente de se redresser
Mobilisant ses dernières forces
Il implore le ciel
Encore quelques jours
Accueillir le volettement
Du couple de mésanges
Écouter leur chant radieux dans le silence
De ce jour sans bruit
Goûter le parfum de quelques gouttes de rosée
Perlant sur ses doigts menus
S’étire de tout son long pour entendre craquer
Les os vivants de son squelette
Et jusqu’au dernier jour vivre
Chaque jour chaque heure
Tortueux… mais gracieux
Cet arbre abandonné des Dieux.
-
Ernest B. Dauzat